Voici quelques principes que j’essaie de mettre en œuvre dans ma pratique d’enseignement de la musique
Prendre en compte les particularités de chacun
J’essaie de n’avoir aucun à-priori concernant les personnes que j’ai en face de moi, l’important est que soient respectés les besoins et envies en fonction des niveaux et aptitudes personnels. Chacun doit en particulier pouvoir faire ses choix sur les aspects suivants :
Partition ou oreille ?
L’apprentissage du solfège en rebute certains, qui préfèrent « entendre » les mélodies. Il faut alors travailler « à l’oreille », et apprendre à poser sur son instrument un air qu’on a en tête… Pour cela j’essaie de partir de morceaux que l’élève connaît déjà, ou d’enregistrements existants ou que je réalise spécialement.
D’autres au contraire ont l’impression de ne pas pouvoir entendre et retenir les notes d’un air, mais savent lire la musique ou montrent des facilités pour apprendre rapidement. Dans ce cas je travaille sur la base de partitions… Pour ceux qui ne connaissent pas encore le solfège, l’apprentissage de la lecture musicale peut se faire en douceur, en complémentarité de la pratique instrumentale. Je n’essaie jamais d’apporter des éléments de solfège à un élève en dehors de sa pratique instrumentale, cette méthode à l’ancienne à maintes fois montré ses limites dans les conservatoires !
Le top, c’est naturellement quand il est possible de travailler les deux aspects simultanément.
… et pour ceux qui n’ont ni oreille, ni lecture de la musique ? Hé bien on cherche une solution, et on la trouve. On peut par exemple utiliser des tablatures, ou apprendre des morceaux par cœur en les mémorisant « dans les mains », etc… et peu à peu l’oreille se forme.
Travail de technique / travail de répertoire
Le travail purement technique permet de progresser assez rapidement, mais il est souvent rebutant pour ceux qui ont envie de jouer de la musique pour le plaisir. J’essaie toujours d’introduire de petits exercices techniques adaptés à une difficulté particulière rencontrée dans un morceau que l’élève est en train d’apprendre. Pas question de travailler des gammes dans tous les sens, cela n’a, justement, pas de sens pour la majorité des personnes qui apprennent la musique.
Le choix du répertoire est laissé à l’élève
Chaque fois que c’est possible je demande aux élèves de choisir eux-même les morceaux qu’ils ont envie de jouer. La motivation est un ingrédient essentiel de l’apprentissage, pas question de leur imposer des trucs qui ne les intéressent pas et qu’ils ne travailleront donc pas.
Généralement je leur demande de me proposer plein de trucs, et je choisis dedans en fonction de la difficulté du morceau, de leur niveau technique et de leur progression générale. C’est d’ailleurs intéressant de constater qu’un élève débutant ne sait absolument pas juger de la difficulté d’un morceau qu’il entend. Je dois souvent remettre à beaucoup plus tard la majorité des morceaux qu’ils proposent.
Certains élèves ne proposent rien. Dans ce cas je leur propose moi même des morceaux, mais cela me pose généralement un problème car j’ai constaté que les élèves qui ne savent pas proposer de morceaux sont ceux qui ne savent pas vraiment ce qu’ils veulent faire avec leur instrument, et parfois même pourquoi ils veulent jouer de cet instrument. Il n’est pas rare qu’avec un nouvel élève, pendant plusieurs mois on soit en soit en « errance », à rechercher ce qui peut bien l’intéresser. Dans les cas extrêmes, il m’est arrivé de conseiller à certains élèves d’arrêter les cours parce que je pensais qu’ils n’avaient en fait aucune envie de jouer de cet instrument, qu’ils avaient commencé les cours pour une raison inconnue et incomprise d’eux mêmes. Les discussions durant cette phase arrivent parfois sur des terrains très personnels, c’est pas toujours facile mais je pense que ça fait partie, dans une certaine mesure, du travail du prof.
Privilégier l’autonomie du travail
Très souvent, le musicien en apprentissage ne sait pas comment il doit travailler pour progresser. La réponse souvent apportée par les professeurs à ce problème (qui est probablement le plus courant chez le débutant) consiste à montrer le geste à faire jusqu’à ce que l’élève parvienne à le reproduire. Cette manière de procéder laisse souvent l’élève dans l’incapacité de trouver ses solutions en l’absence du professeur.
J’essaie plutôt d’apporter aux élèves des méthodes de travail : comment identifier les blocages ou les difficultés, imaginer des exercices pour acquérir les bons gestes, puis intégrer ces gestes dans le déroulé d’un morceau… Cette approche est tout simplement destinée… à se passer de professeur rapidement !
Des cours intégrés à une dynamique plus globale
L’apprentissage individuel peut être considérablement enrichi et accéléré par un travail complémentaire en groupe, qui favorise l’écoute, la perception du rythme, la compréhension de l’harmonie et… la motivation personnelle ! J’essaie donc dans la mesure du possible de proposer à ceux qui le désirent de participer à un atelier collectif, et je pousse toujours tous mes élèves à constituer des groupes dans les styles qui leur plaisent..
Durant les cours, très souvent j’accompagne les élèves avec un autre instrument que celui dont ils jouent eux-même, pour les habituer dès le début à écouter un rythme, une tonalité, à jouer dans le tempo, à faire des variations en fonction du jeu de l’autre. Ce genre de pratique me semble bien préparer au jeu collectif, qui d’après moi est l’un des sens ultimes de la pratique musicale. Maintenir un élève dans une pratique strictement individuelle n’est pas à mon avis un service à lui rendre. Il est très courant que des personnes ayant toujours joué seules aient de graves problèmes de rythme : le tempo est fluctuant, les mesures sont de longueurs inégales…
Enfin, il me semble important de pousser les élèves à jouer régulièrement devant de vrais publics, seuls ou à plusieurs. Cette confrontation fait monter la pression, elle accélère le niveau de motivation et la vitesse de progression, elle permet à chacun de s’auto-évaluer et de recevoir les retours d’autres personnes, elle valorise… bref, jouer devant des gens, c’est le but sans lequel il est difficile d’avancer, il me semble.
J’essaie donc de temps à autres d’organiser des petits concerts, des bals, des animations de rue… et d’y faire jouer mes élèves !
… et quelques états d’âme
Enseigner la musique est à la fois crevant, excitant, parfois décourageant et toujours riche d’enseignements.
Crevant, parce que durant une heure il faut tout donner à la personne qui est en face. Il faut lui porter toute son attention, essayer de percevoir ce qui roule et ce qui bloque, ce qui peut s’améliorer et ce qui ne peut pas… Pourtant, des fois, des élèves m’ont dit que cette attention permanente leur pesait, qu’ils avaient aussi besoin de moments où l’on ne s’occupe pas d’eux, où ils bidouillent leurs trucs tout seuls. Pas facile de gérer ça, car en tant que prof, j’ai toujours l’impression qu’il faut « en donner pour son argent » à l’élève qui a fait l’effort de payer et de venir. Pour moi, ça signifie donc avant tout apporter le maximum, mais je m’aperçois peu à peu que ce n’est pas la règle absolue, ni même générale. Certains élèves viennent pour passer une heure tranquille et agréable, en dehors de la vie ordinaire. D’autres viennent pour jouer de la musique, tout simplement, et pas forcément pour progresser. Les accompagner peut suffire à leur bonheur. rare sont, en fait, ceux qui viennent uniquement pour progresser rapidement et efficacement. Je me retrouve donc parfois dans cette drôle de situation où j’essaie de chercher ce que je pourrais bien apporter d’intéressant à l’élève qui est là, tandis que lui me fait tranquillement la causette sur tout autre chose.
Excitant, parce que, des fois, tout d’un coup on a l’impression que ça marche, que l’élève avance d’un grand pas… Tout d’un coup il prend de l’autonomie, il explore par lui-même un nouvel ensemble de possibilités de son instrument, ou il franchit un cap technique qui le freinait depuis longtemps. Parfois même il arrive que la musique le libère d’autre chose, le fasse avancer dans d’autres domaines. Dans quelques cas, la musique transforme l’homme, et lorsque l’on a été, même un tout petit peu, artisan de cette transformation, alors ou on est heureux et excité.
Revers de la médaille, donner des cours est parfois décourageant aussi. Lorsque l’on a l’impression que quoi qu’on fasse ça n’avance pas, que l’autre n’est pas « doué ». Quel horrible mot, auquel je ne crois pas et que pourtant, dans certains cas je ne sais pas faire autrement que d’employer. Là encore il faut savoir relativiser, comprendre que si l’élève vient et revient c’est forcément qu’il prend quelque chose. Le problème est parfois de comprendre quoi, justement.
Mais malgré tout, enseigner la musique est toujours riche d’enseignement. Parce que pour apporter quelque chose à l’autre, il faut l’avoir compris soi-même. Enseigner c’est se forcer à comprendre soi-même, c’est donc un élément de progression personnelle très efficace. Pour cette raison, même si l’enseignement de la musique n’est pas au centre de mon métier (qui est de jouer moi-même de la musique), je pense que je n’arrêterai jamais.